Ramzi Kerouicha, fondateur du comptoir sucré et salé Smoothzi. Photo : Adrien Gaertner
Hood Heroes
Hood Heroes - 16 Smoothzi : une histoire de famille
31/5/24
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Initiative de journalisme local
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Ramzi Kerouicha, 23 ans, d’origine algérienne, se tient fièrement derrière le comptoir du Smoothzi aux côtés de ses parents. Il porte un hoodie floqué du logo de son établissement, mettant en vedette son propre visage. 

C’est par un jeudi après-midi que nous retrouvons le fondateur du restaurant situé dans le quartier de Rivière-des-Prairies. Il est 15 heures, le quartier est paisible, tandis que le printemps s’installe. 

À l’intérieur du comptoir gourmand, quelques habitués sont attablés et dégustent leurs plats. Les murs, ornés de tableaux, font de l’espace un lieu peu commun.

Dans cette atmosphère accueillante, le jeune homme élancé se joint à nous pour partager son parcours. Les manches toujours retroussées, Ramzi se tient droit. Il est de ce genre de personne naturellement enjouée, mais qui devient sérieuse lorsqu'il s'agit de travail. Installés confortablement dans les fauteuils du restaurant, nous découvrons son histoire.

Caméra : Adrien Gaertner, Montage : Julien Forest et Journaliste : Jennifer Da veiga Rocha

Une scolarité difficile 

Propriétaire du restaurant depuis l’âge de 19 ans, Ramzi n'a pas bénéficié de l’aide financière de ses parents, ni suivi un parcours académique traditionnel vers le succès. 

« Je savais que le système de l'école n'était – malheureusement ou heureusement – pas fait pour moi », partage t-il en haussant les épaules. Je ne voulais aller ni au cégep, ni à l’université. »

Très jeune, il a un rapport difficile avec l'école où il a du mal à s'épanouir. Plutôt que de suivre studieusement les cours, il préfère se divertir et devient rapidement le clown de ses camarades de classe. 

« Ça m’a coûté cher puisque j’ai redoublé deux fois », laisse-t-il tomber. Le jeune homme estime néanmoins que cette expérience l’a façonné et l’a incité à explorer d’autres voies. « J’ai mûri puis j’ai trouvé celle qui me convenait davantage : l'entrepreneuriat », conclut-il, le poing fermé.


« Tout ce que je fais pour moi, je le fais aussi pour mes parents » 

En secondaire cinq, après un cours de finance sur la retraite, Ramzi rentre à la maison et aborde ce sujet avec ses parents. Sa mère, fonctionnaire à l’époque, lui confie qu'elle n'a pas réussi à se préparer correctement pour cette étape de la vie. Le jeune homme n'en revient pas. 

« On nous a toujours enseigné qu'il fallait faire de longues études, obtenir un bon emploi, cotiser pendant quarante ans dans un fond de pension pour ensuite pouvoir enfin se reposer ! » s’exclame-t-il. « Mais en voyant la réalité de la retraite pour mes parents, je savais que ce n'était pas le chemin que je voulais suivre. » 

Ramzi a alors deux objectifs en tête : s'assurer un avenir financier sans emprunter la voie traditionnelle des études, tout en garantissant la sécurité financière à ses parents pour les années à venir. « C'est une course contre la montre », lâche-t-il, en tapant de l’index son poignet. « Ils approchent de la retraite et je veux m'assurer que tout se passe bien pour eux. »

D’un même souffle, il poursuit : « On n'a jamais vraiment parlé de ça, mais on a déjà vécu la perte de notre maison. C'est ce qui me pousse à me battre aujourd'hui, pour éviter de revivre ce drame. Ce que je fais pour moi, je le fais aussi pour mes parents », ajoute-t-il, avant de lancer un regard gêné. 

« Même si on a peu, en réalité, on a beaucoup »

« Mes parents m'ont appris à être heureux avec ce que j’ai. Même si on a peu, en réalité, on a beaucoup », déclare-t-il, un sourire au coin des yeux. 

Ce mantra, Ramzi le vit pleinement. 

Durant la pandémie, le jeune homme travaille à plein temps chez Home Depot. « L'ambiance à la maison était étrange. Je travaillais à plein temps, ma mère aussi. Nous étions fatigués de nos emplois, mon père était en arrêt pour la première fois alors que c’est un bosseur et mon frère, lui, suivait l'école à la maison, une situation qu'il détestait. Je cherchais désespérément des solutions à cette situation », explique-t-il.

En mai 2020, alors que les restaurants sont fermés en raison des restrictions sanitaires, une idée lui vient comme un éclair : vendre des smoothies via Snapchat. « Un jour, j'ai ouvert mon frigo et j'ai remarqué un smoothie. Je l'ai fermé en me disant : “Je vais vendre des smoothies demain” », nous raconte t-il en levant la tête vers le plafond. Il poursuit : « Ma mère était juste à côté, elle m’a regardé elle m’a dit : « Ok, demain on va chez le grossiste ». 

Le lendemain, le 20 mai 2020 à 17 heures pile, nous précise-t-il, l’aventure de Smoothzi commence dans la cuisine familiale. « Maman faisait les beignets, papa les crêpes et puis moi les smoothies », partage-t-il en tranchant l’air de ses mains, ponctuant ainsi chaque action. « Les photos des prototypes sont prises, l’annonce est publiée, en une heure et demi tout était vendu » conclut-il avec fierté. 

Une histoire de famille 

Le soutien inconditionnel de sa mère, Sabiha Merabet, nous inspire. Elle porte un pull gris sobre, qui contraste avec celui floqué de son fils. Ses cheveux, coupés courts, ajoutent une touche élégante à son apparence.

D’un timbre de voix également plus calme, elle partage : « Ramzi m'a toujours soutenue, il a toujours cru en moi. Lorsqu'il m'a annoncé son projet, c'était tout à fait naturel d'embarquer avec lui, de l'accompagner et de le soutenir. Je crois en lui, je crois aussi en la force des jeunes et en leur vision. » 

Sabiha a brièvement travaillé dans le secteur de la restauration en 2014. Cette expérience lui a permis d'acquérir des connaissances qu'elle souhaite désormais transmettre à son fils.

Alors qu’elle travaille à temps plein à la prison de Rivière-des-Prairies, elle, puis toute la famille suivent Ramzi dans cette aventure. De mai à décembre, chaque jour après le travail, entre 19h et minuit, l'entreprise familiale prend vie dans la cuisine.

Une expérience qui a rapproché la famille :  « Avant, on ne se voyait jamais, chacun était dans sa chambre. Maintenant on se voit tout le temps. Il n’y a pas plus beau cadeau pour moi que d’être tout le temps avec mes parents, et je pense que c’est un beau cadeau pour eux également », partage Ramzi, les yeux pétillants. 

De la maison au restaurant 

« Quand les restaurants ont rouvert en 2020, je pensais que j’allais tout arrêter. Je me disais que j’avais accompli ma mission qui était de remplacer les restaurants à ce moment-là », confie Ramzi. 

Cependant, il envisage la suite autrement lorsqu’il réalise que la demande provient directement des habitants de son quartier. « Des amis venaient me dire : “ mais où est-ce que je vais commander mes smoothies maintenant ?” »

Ramzi décide alors de se remettre au travail. « Pendant mes deux semaines de congé de Home dépôt, mon père et moi avons commencé à travailler ensemble de 8h à 23h pour développer différentes recettes. » Une expérience concluante raconte le jeune homme, qui dès le premier jour a pu vendre des smoothies pour l’équivalent d’une semaine de son salaire.  « C’est à ce moment-là qu'on s’est dit qu’on pouvait ouvrir un restaurant et prendre le risque que ça marche réellement ! ». 

Honorer les habitants de Rivière-Des-Prairies 

Dès l’ouverture de l’établissement en décembre 2020, Ramzi bénéficie d'un soutien considérable de la part des habitants de Rivières-des-Prairies, qui affluent pour découvrir son comptoir sucré et salé. 

« Une des raisons pour laquelle on a ouvert notre premier restaurant à Rivière-des-Prairies c’est pour considérer la communauté de Montréal-Nord. On voulait les servir, leur donner un endroit chaleureux, convivial, considérer les jeunes », partage-t-il avec conviction. 

À l’intérieur de l’établissement, on trouve quelques cadeaux offerts pour le féliciter : une paire AF1 de basket floquée Smoothzi, mais aussi un livre d’or signé par les clients depuis 2020.   

« Beaucoup d[‘entre eux] appellent mes parents “papa et maman”. Moi, en tant que fils, quand je vois [ça] c’est mission accomplie, c’est qu’ils se sentent véritablement considérés », déclare-t-il, arborant un large sourire.

Au-delà de cette considération affective, Ramzi s’engage aussi envers la communauté de Rivière-des-prairies en offrant un espace pour les artistes émergents. « Ce lieu, ce n'est pas simplement un restaurant. Nous organisons des vernissages pour des artistes et offrons une scène pour les performances artistiques. » 

Un mot pour les jeunes 

Le jeune homme de 23 ans a un message d’espoir à faire passer à sa génération : « Il faut croire en soi, rien n’est impossible ! Certes ce n’est pas facile, mais toutes les difficultés en valent la chandelle. Car le but d’une épreuve c’est d’apprendre à la surmonter. » 

Sabiha est du même avis : « Les projets qu’on mène et qui n’aboutissent pas ne sont pas des échecs mais des expériences », dit-elle, en référence à sa première expérience en restauration qui n’a pas fonctionné, mais qui aujourd’hui est utile à l’entreprise familiale.  

Ces mots, empreints de sagesse, incarnent l'esprit d’espoir et de détermination qui anime la famille de Ramzi.

L’actualité à travers le dialogue.
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